C'est connu, à la fin de chaque mission difficile on retrouve James Bond entouré d'accortes damoiselles. Je ne pouvais donc que respecter ce scénario classique, mais toujours d'actualité.
Ayant presque terminé une partie de mes herculéens travaux de bricolage, j'ai décidé cette semaine d'inviter. Je le fais de temps à autres et, si ma table n'est pas recherchée comme celle d'un grand restaurant, il est rare que mes invitations soient refusées. Paske James Bond est aussi doué en cuisine qu'en plein d'autres choses.
Créneau de tir : samedi soir. Courses le vendredi en fin de journée, certains plats devant être préparés la veille. Deux entrées, salade d'oranges et raita, deux plats, nems et poulet tandoori. Le dessert est amené par les invités.
Le poulet doit mariner, il est préparé le vendredi soir. Les nems m'occuperont la majeure partie de samedi après-midi. Bref, déroulement nominal, tout est prêt lorsque les 6 invitées arrivent. Six nanas pour un seul mec, ça va encore jaser. M'en fiche.
Le feu brûle joyeusement dans la cheminée de la cuisine, l'ambiance est rapidement très conviviale même si trois des invitées me sont inconnues (des amies d'amies). Nous finissons par passer à table, après tout on est là pour ça. Les entrées rencontrent un vif succès. Deux de mes convives attendent avec impatience les nems, qu'elles ont déjà goutés dans d'autres occasions. Les quatre autres semblent plus portées sur le poulet tandoori, sur lequel je reconnais ouvertement débuter.
"Si j'en crois l'odeur, ça promet une réussite", dit l'une de mes hôtes, fine connaisseur (ça fait bizarre, je le reconnais, mais connaisseuse est encore pire) de l'Inde. Et elle s'érige donc en goûteuse officielle lorsque le plat, sortant fumant du four, arrive sur la table.
Un peu de riz blanc à côté, une aile de poulet... elle attaque... une bouchée, largement tartinée de sauce, soupir épanoui d'appréciation gastronomique. La seconde bouchée passe, la troisième est au bout de la fourchette, elle monte déjà vers la bouche...
Et le geste se bloque, comme une machine soudainement grippée.
"Ca ne va pas ?" demandé-je, soucieux du bien-être de mes hôtes. Je regarde cette charmante damoiselle, et je vois ses yeux embués de larmes. Hmmm bon j'veux bien être un cuisinier pas totalement nullos, mais de là à en faire pleurer de bonheur quelqu'un, il y a des limites. Y'a un problème quelque part.
Ses gestes sont sans ambiguité aucune. Ca chauffe, et cela ne vient pas du feu de bois. Elle ne réussit plus à parler, prend du riz, un peu de pain, un peu d'eau pour calmer l'incendie buccal. Tousse, tente d'aspirer de l'air à travers la bouche entr'ouverte puis, toute honte bue, bouche grande ouverte (mais cachée par une serviette; mes invitées savent se tenir).
C'est une toute, toute petite voix qu'elle dit "C'est super bon, mais tu y as été un peu fort sur les épices dans la sauce. Et l'effet n'apparaît pas tout de suite."
La suite du repas se passera bien, une fois que tous (moi y compris; j'ai testé, et je confirme, ça brûûûûle) auront adopté la tactique de ne manger que le poulet, sans sauce ajoutée, et avec du riz. Ou de s'en tenir aux nems, pour les plus pusillanimes.
A l'évidence, j'ai inventé une nouvelle arme, le poulet tandoori-lance flammes à retardement. Radical pour clouer le bec à des fâcheux bavards. A réutiliser si un jour je reçois des politiciens.
Note : dans M*A*S*H, l'une des héroines est surnommée Lèvres-de-feu. Ben on aurait aussi pu la refaire ici, pour des raisons différentes.