Parmi les comportements qui me mettent hors de moi, la jalousie arrive en tête de liste (ou pas loin, parce que la connerie profonde a aussi une place enviable). Quand je suis la cible d'une crise de jalousie, la perte de contrôle avec destruction de l'adversaire n'est jamais loin. Alors, quand c'est ma régulière-depuis-douze-ans qui me fait ça, je deviens ballistique, la bave aux lèvres, le regard perdu du tueur en série en manque de partenaires de jeux. Seul mon excellent contrôle de moi m'évite un regrettable passage à l'acte.

Il est vrai que je suis bigame. Il y a la régulière-de-tous-les-jours, et ma danseuse, celle-des-moments-spéciaux. Les deux se connaissent, chacune m'a vue en compagnie de l'autre. Je fais avec l'une ce qu'il ne m'est pas possible de faire avec l'autre (et vice-versa d'ailleurs). J'apprécie la discrétion de la première, et la remarquable flambloyance de la seconde, même si cela me vaut des regards envieux ou assassins de la part des autres mecs. En bref, une excellente complémentarité, ce qui explique ma fidélité aux deux.

Or, ma régulière prend mal le fait que, depuis quatre ans maintenant, je ne parte plus en vacances avec elle mais uniquement avec l'autre. Pourtant, cela ne représente guère que quatre semaines par an, les quarante-huit autres lui étant dévolues. Sauf quelques week-ends de-ci, de-là, je le reconnais. Pas de quoi en faire tout un plat. Elle devrait être heureuse que je reste avec elle : je pourrais tout aussi bien mettre un terme définitif à notre relation.

Ses crises de jalousie, allant jusqu'à un refus total de toute interaction, ont d'ailleurs débuté le jour même où j'ai commencé mes relations approfondies avec l'autre; l'intuition féminine, peut-être ? Et, depuis, à intervalles réguliers, cela recommence et ne prend fin qu'après moult cajoleries onéreuses. Cela serait de bonne guerre si ce n'était aussi systématique et, à la longue, lassant. Elle pense jouer sur du velours, car elle sait que l'autre restera toujours celle-des-moments-spéciaux et ne sera jamais, par nature, ma régulière-de-tous-les-jours. Mais il y a une autre issue : je peux aussi changer de régulière.

Donc, je pose clairement l'ultimatum.

Ma chère tuture, soit tu redémarres pour que je puisse aller remplir le réfrigérateur, soit je change de voiture d'ici la fin de l'année.