Cette dame apostrophe les deux personnes à l'accueil, avec une voix suffisament haute et claire pour être entendue alentours :
C'est absolument scandaleux, je viens de récupérer des photos, vous vous êtes trompés et m'avez donné les photos de quelqu'un d'autre, et en plus ça contient de la pornographie, c'est honteux vous devriez refuser ce genre de clients, et je veux mes photos à moi.
Elle tient à la main un paquet, contenant une grosse centaine de photos, et en montre quelques unes. En effet, c'est un peu chaud.

A ma grande désolation, l'une des deux personnes de l'accueil, une jeune femme charmante, se tourne vers moi et me demande en quoi elle peut m'être utile, laissant son collègue masculin gérer le contenu pour adultes. Je me retrouve donc à un mètre du paquet de photos, trop loin pour pouvoir profiter des détails mais pas assez pour ne pas voir ce qui s'y fait. Il serait cependant discourtois d'ignorer la personne qui s'occupe de moi, et je ne peux laisser mon regard errer sur les pixels imprimés sur papier photo. Dommage, dommage.

La cliente mécontente, le visage rougissant, continue sa loghorrée, ne pouvant pas croire autre chose qu'une erreur du laboratoire qui a traité les photos numériques. Son interlocuteur lui demande si elle est sûre que les photos ne sont pas à elle, mais non enfin pour quoi me prenez-vous, vous avez vu certaines des photos, est-ce que j'ai une tête à photographier des ... choses commes ça ?. Elle reste ferme sur l'erreur du labo. Connaissant la paranoïa de ces établissements, dont la hantise est justement de donner les photos d'un client à un autre, je doute un peu d'un tel scénario. Je dis, à voix basse, à la personne qui est en face de moi : Je suis prêt à parier que quelqu'un a utilisé l'appareil photo de cette dame sans le lui dire. Elle me regarde, tout en remplissant ma facture d'une écriture fine, avec un léger sourire aux lèvres. Le discours furieux de ma voisine de comptoir décrit ce qui devait être une soirée étudiante un peu arrosée, plutôt déshabillée et sexuellement active dans certains coins.

Brutalement, le flot de paroles cesse, entre deux syllabes. Coupé net, comme à la hache. Le contraste est tel qu'il m'est impossible de ne pas regarder. La dame tient à la main une photo que je ne vois pas. La dame n'est plus rouge de colère, mais d'une pâleur spectrale qui, d'ailleurs, inquiète celui à qui elle s'adressait, lequel demande, d'un ton préoccupé, Madame ? Vous n'allez pas bien ? Vous voulez vous assoir ?

La dame reprend les photos, les fourre dans son sac et s'en va, la colère semblant revenir mais n'étant plus destinée aux laboratoires ou aux collaborateurs de l'agitateur.

Pari gagné fais-je à la damoiselle en face de moi, qui se retient de rire parce que ce ne serait pas sympa.

A mon avis, la dame a découvert, un peu brutalement il faut le reconnaître, qu'un de ses enfants[1] n'était justement plus un enfant. Et cette personne va apprendre une leçon qui lui sera utile pour son avenir : quand on emprunte (ou prête) un appareil numérique, quel qu'il soit, on s'assure de ne rien laisser de compromettant à l'intérieur. Surtout pas une carte mémoire.

Notes

[1] Allez, n'ayons peur de rien dans les suppositions, elle a reconnu sa fille; pour un garçon, la réaction eût été à mon avis (sexiste, machiste et stupide) moins forte.