L'argument de cet opéra est relativement simple. Il procède d'une pièce de Sophocle. L'action se déroule à Mycènes peu de temps après la guerre de Troie.

Môman (Clytemnestre, Agnes Baltsa), avec l'aide de son Amant (Egisthe, Donald Kaasch), a gentiment trucidé Pôpa (Agamemnon). Fifille 1 (Electre, Susan Bullock) ne rêve que de vengeance, de sang qui coule et de têtes qui roulent, alors que Fifille 2 (Chrysothémis, Silvana Dussmann) préfèrerai vraiment qu'on oublie tout ça et qu'on fasse des enfants. Fifille 1 est un peu complètement folle, genre à lier, mais c'est une fille de roi et ce sont des choses qui ne se font pas. Môman fait de mauvais rêves depuis qu'elle a occis Pôpa, et s'interroge sur les sacrifices et offrandes à faire aux dieux pour chasser ces mauvais rêves. Elle va jusqu'à demander que faire à Fifille 1. Cette dernière lui assure connaître le bon sacrifice et le bon officiant pour cela, le premier étant Môman elle-même et le second étant Frangin (Oreste, Harry Peeters[1]) qui doit revenir de son exil pour faire le ménage. Sauf que Môman, que l'amour de sa progéniture n'étouffe pas plus que ça, a dépensé moult pièces d'or pour s'assurer que Frangin trépasse loin de Mycènes, ce dont elle reçoit d'ailleurs confirmation. Grosse déprime de Fifille 1, exultation de Môman, et arrivée des messagers venant témoigner du trépas de Frangin. Sauf que ruse de sioux[2], les messagers sont en fait Frangin et son précepteur. Fifille 1 et Frangin se rencontrent et finissent par se reconnaître. Frangin pique une grosse colère et va trucider Môman à coup de hache. Puis on attend l'Amant, on le zigouille lui-aussi et tout est bien. Fifille 1, de joie, clapote.

Il y a une faiblesse dans ce scénario tragique grec : pas de relations incestueuses mère-fils ou frère-soeur[3]. Pourtant, cela aurait pu, puisqu'Oreste et Electre se rencontrent sans se reconnaître. Ca aurait autorisé le suicide d'Oreste, laissant uniquement Fifille 2 pour assurer la succession. Bref, un ressort d'intrigue qui n'a pas été exploité comme il aurait pu.

Les décors et costumes (commis par Hubert Monloup) sont étonnants pour une tragédie antique. Le plateau fait plus penser à une friche post-industrielle qu'à un palais mycénien. Et les costumes n'auraient nullement déparé dans une bonne maison de la fin du 19ème siècle. Sauf Electre, évidemment, qui serait restée dans la rue où elle n'aurait pas fait honte aux autres miséreux. Enfin, représenter une hache à couper des têtes par une pelle de terrassier, ça fait un peu bizarre.

Voilà donc pour l'extérieur de cette oeuvre.

Pour tout dire, il faut rentrer à l'intérieur, et ça prend un petit quart d'heure - jusqu'au premier dialogue entre Electre et Chrysothémis. Madame Bullock, qui a bien mérité la dizaine de minutes d'applaudissements qui l'ont saluée, éclipse tous les autres interprètes. Rien que de très normal, tout le livret est centré sur elle et elle tient la scène presque du début à la fin. Les autres voix ne sont là que pour la laisser respirer un peu. Elle incarne la folie vengeresse et l'ivresse de sang, sans trop en faire, ce qui rend le résultat encore plus violent. J'avoue que, pendant la première quinzaine de minutes, je me demandais vraiment ce que je foutais là. Et ensuite, Electre nous happe et on est scotché.

Détail amusant, il n'y a pas de musique. Enfin si, quand même un peu, mais c'est uniquement une ligne autour d'Electre. L'orchestre soutient (un peu fort parfois, couvrant les voix) l'intrigue comme un éclair peut souligner un rebondissement cinématographique. Il est difficile de dégager une mélodie ou quoi que ce soit d'autre. Il n'y a pas vraiment de bande son, juste un accompagnement sonore de l'action. Le résultat n'en est pas moins efficace.

Notes

[1] Qui n'a pas de cicatrice sur le front.

[2] Même s'ils n'étaient pas encore inventés.

[3] Le père étant mort, difficile de le faire jouer dans ce registre.