D'abord, le concert. La 25ème symphonie de Mozart, nous en connaissons tous, ou presque, le premier mouvement -- ne serait-ce que parce qu'il a servi pour la bande sonore du film Amedeus. Aucune surprise sur cette première partie du concert.
Bruckner et sa 9ème symphonie, ce fut différent. J'avais choisi ce concert justement parce qu'y était donné un auteur dont le nom me disait très vaguement quelque chose, genre « ouais, c'est peut-être bien un compositeur classique », mais rien de plus. Dans un style très différent de la 25ème qui l'a précédée, la 9ème de Bruckner fut un morceau de plaisir un peu trouble. Il me faut avouer, à ma charge, que plus d'une fois, j'ai eu l'impression d'écouter une bande sonore d'une grosse production hollywoodienne.
Durant le premier mouvement Feierlich, misterioso[1], j'ai ainsi visualisé, à un moment, de grandes étendues de terres balayées par un vent chaud et léger pliant doucement les herbes et blés (mais avec une tonalité verte plus que jaune, donc blés pas encore prêts pour la moisson), sans âme qui vive à l'horizon[2]. À un autre moment, on change de film, ce fut la scène de la révélation presque finale, style l'ouverture des portes du temple oublié-de-tous-mais-qui-contient-les-secrets-qui-vont-sauver-le-monde, complet avec les lumières aveuglantes qui sortent des portes[3]. Je n'aurai pas été plus surpris que ça de voir Indiana Jones quelque part dans l'orchestre.
Le second mouvement s'est révélé plus stable dans le style du film. Parce que enfin quoi, tu le prends comme tu veux, mais c'est la Marche Impériale de La guerre des étoiles. Y'a pas à barguigner. Une Marche Impériale un tantinet sous ecstasy, d'accord, mais la Marche Impériale quand même. Comme l'image m'est venue durant la première minute de ce mouvement, elle ne m'a plus quitté. Il ne manquait que Han Solo pour que l'ensemble soit complet.
Un point intéressant de ce concert, pour moi, fut la gestuelle corporelle du chef d'orchestre, M. Kahchun Wong. Il ne dirigeait pas la formation seulement avec ses bras, mais pratiquement avec tout son corps. S'agenouillant presque sur certains mouvements doux, à la limite du saut en hauteur sur des passages plus explosifs, tanguant parfois de droite à gauche comme un bateau dans la tempête. L'orchestre du Capitole a évidemment été à la hauteur, le suivant dans toute son expressivité.
Voilà donc pour la partie concertante. L'opéra, maintenant.
L'élixir d'amour, c'est un opéra comique. Pour résumer, un gars gentil (Némorino) en pince pour une jolie femme (Adina) un peu plus haut sur l'échelle sociale. Timide et réservé, il ne voit d'autre solution que d'acheter (à un escroc mais il ne le sait pas) un filtre d'amour pour conquérir sa belle[4]. Cependant, ce breuvage nécessite un certain temps avant de faire effet. Sûr du résultat, il joue l'indifférence envers la dame, qui prend la mouche et se jette dans les bras d'un bellâtre militaire de passage avec sa garnison[5]. S'ajoute que le gars gentil fait un gros héritage, ce que toutes les femmes du coin apprennent alors qu'il en ignore tout. Elles se jettent elles aussi dans ses bras, multiplication de conquêtes que Némorino attribue à l'efficacité de l'élixir. Après quelques rebondissements, les deux tourtereaux se retrouvent, l'escroc est convaincu que son élixir fonctionne, et le militaire s'en va courir d'autres jupons. Tout finit bien, ce qui a fait dire à ma chère et tendre « pour une fois qu'il n'y a pas un tas de cadavres, ça nous change. »
Némorino était très bien tenu par M. Kevin Amiel, qui nous a donné un gars gentil-mais-pas-futé très convaincant. Le jeu de scène était en accord, simple et efficace. Mme Gabrielle Philiponet tenait Adina, et n'a pas déparé. J'ai toutefois trouvé son jeu de scène un peu terne, sans que cela ne gâche le plaisir d'y assister. Sans doute est-ce le personnage et le livret qui veulent ça : c'est L'élixir d'Amour, pas Norma. Enfin, les deux barytons Ilya Silchukov (Belcore, le bellâtre) et Julien Véronèse (Dulcamara, l'escroc) ont su ajouter un peu de noirceur vocale avec leurs belles basses.
Je dois à William Orlandi, le décorateur, d'enthousiastes félicitations. Il nous a servi, en début et fin d'actes et, parfois, de scène, de très beaux tableaux vivants, impression renforcée par des sortes de cadres mobiles, des éclairages judicieux et, je pense, un film de gaze, qui donnaient vraiment l'impression de regarder une huile dans un musée, ou une vieille photo un peu jaunie dans un album de famille. Pour tout dire, à l'ouverture de la première scène du premier acte, je me suis dit « Wahou, ils ont vraiment dû en baver pour peindre un tel décor », avant de réaliser après une poignée de secondes que ce n'était pas du décor.
Prochaine sortie, la version concertante d'Eugène Onéguine. J'ai une certaine aversion pour les versions concertantes d'opéras, mais ma chère et tendre voue une passion coupable pour Eugène Onéguine. Il faut parfois choisir entre la peste et le choléra.
Notes
[1] Solennel et mystérieux dans la langue de Molière.
[2] En bref, les pionniers qui découvrent leur terre perdue dans un coin sauvage mais enchanteur.
[3] Le temple est oublié, mais la maintenance des projecteurs a bien été faite depuis des millénaires.
[4] On reparlera des notions de consentement plus tard, si vous voulez bien.
[5] Elle va dans les bras du bellâtre, pas de la garnison.