Dans la pratique, c'est plus délicat. Je ne vais pas aborder la facette comment faire pour que ma requête soit acceptée par le président du TJ, qui n'entre pas dans mes compétences. Je m'intéresse à ce qui se passe après, quand on est sur place.

La première chose à bien comprendre, c'est qu'on ne sait pas ce que l'on va trouver. On ne sait même pas si on va trouver quelqu'un, d'où l'adjonction fréquente à la fine équipe d'un serrurier. On ignore aussi si on sera bien accueilli, d'où la participation courante des forces de l'ordre (vous comprendrez certainement l'effet que peuvent avoir les quatre policiers ou gendarmes que vous découvrez en ouvrant la porte après un coup de sonnette ; je vous rassure, ce ne sont pas des cowboys ; souvent, l'huissier leur dit de partir une fois que tout est en place et qu'il n'y a pas de mauvaises réactions à craindre).

Sur le plan technique, nous n'avons généralement aucune information sur « la cible ». Ce peut être un ordinateur portable (saisie faite au domicile de l'intimé) ou un système d'informations étoffé, avec des données déportées dans des centres de données, etc. Il faut être préparé, c'est-à-dire avoir à peu près tout ce qui pourrait être utile - cela va jusqu'aux tournevis (s'il faut démonter un disque dur pour en faire une copie), clés et disques (USB et « normaux ») à foison, des câbles réseau (parce que l'intimé doit nous donner les informations pour faire notre travail, mais n'est pas obligé de fournir le matériel), des ordinateurs, des logiciels d'analyse ou d'extraction... bref, la totale. Et avoir en tête plusieurs méthodes pour atteindre les objectifs demandés dans l'ordonnance.

Ensuite, nous (l'huissier et, par ricochet, l'expert) sommes strictement tenus par l'ordonnance et sa rédaction. Ni plus, ni moins, sans aucune latitude ni liberté d'interprétation. L'ordonnance autorise l'huissier à prendre des copies des documents papier mais pas à les emporter à son étude pour les scanner et les restituer ? Il faut numériser sur place (bon courage s'il n'y a pas de scanner ou s'il s'agit d'un scanner d'imprimante jet d'encre multifonction et s'il faut numériser 5 000 pages). Les mots-clés à rechercher dans la messagerie (ou dans les fichiers) sont trop génériques et vont identifier pratiquement la totalité des courriels ? Pas un problème, on copie les 40 000 messages et les 20 000 fichiers identifiés.

Enfin, et ce n'est pas un détail, il faut être retenu dans nos interactions avec les intimés, y compris voire surtout lorsqu'ils montent dans les tours. C'est surtout l'huissier, responsable des opérations, qui fait cela, mais l'expert a un rôle à jouer - si un « non » n'est pas une réponse autorisée, politesse et courtoisie restent de mise. Ça fait tomber la tension. Car il ne faut pas oublier qu'une saisie est un acte agressif psychologiquement (imaginez une perquisition chez vous ; c'est presque ça). Une très bonne technique, souvent mise en œuvre par les huissiers, est d'expliquer aux intimés, en tout début d'intervention, leurs droits et possibilités d'action après la saisie, notamment les procédures en rétractation (globalement : faire annuler a posteriori tout ou partie de l'ordonnance, et donc les données saisies associées). Cette explication est, à mon avis, indispensable lorsque la saisie se fait chez un particulier, même si c'est pour une raison professionnelle. Elle est aussi utile quand on intervient en entreprise, pour les même raisons.

Tout ça pour vous dire que je sors de 8 heures de saisie (sans manger), deux voitures pleines de documents papier (pas de scanner sur place, les huissiers vont rigoler à numériser tout ça, l'ordonnance imposant la restitution des documents sous 48 heures), 80 000 courriels et 45 Go de fichiers copiés. Tout c'est très bien passé avec les intimés, passée la déstabilisation de notre arrivée. La journée fut bien remplie, la facture le sera aussi - et je souhaite bien du plaisir à la requérante pour analyser tout ça.